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Le liseur : De la lecture à haute-voix, mais beaucoup de silence

Écrit par: AI - déc.• 19•15

Ce n’était pas une question adressée au juge. Elle parlait pour elle-même, se posait à elle-même la question, en hésitant, parce qu’elle ne se l’était jamais posée, qu’elle doutait que ce fût la bonne question, et qu’elle en ignorait la réponse.

Le liseur

Si l’amour occupe une place importante dans nos vies, les histoires d’amour ne sont pas simples. Et certaines encore moins que d’autres…

Dans une Allemagne d’après-guerre, quand Michael Berg attrape la jaunisse et ne peut plus aller à l’école, un jour et par hasard, son chemin croise celui d’Hanna, son ainée d’environ vingt ans. Malgré leur différence d’âge, les deux protagonistes deviennent amants. Leurs rencontres prendront rapidement la forme d’un rituel: lecture, puis amour. Ainsi, Michael lit à haute voix pour Hanna, passionnée par ce qu’elle entend. Si leur relation est compliquée, Michael n’en aime pas moins Hanna et ne comprend pas pourquoi cette dernière disparaît du jour au lendemain. Il la reverra quelques années plus tard, à un procès sur les camps de concentration. Cependant, alors que lui sera dans le public, elle, sera sur le banc des accusés. Comment accepter que celle qui a provoqué adoration ait aussi commis l’horreur?

Il y a des rencontres qui marquent toute une vie, et pour Michael, ça aura été Hanna. Devenu homme et écrivant leur histoire, afin peut-être de mieux la comprendre, Michael reste obnubilé par cette femme. Pourtant, c’est à travers une écriture très distancée que le lecteur découvre le récit. À plusieurs reprises, Michael a avoué être « anesthésié » dans ses sentiments et c’est peut-être cela que nous ressentons au cours de la lecture. Plus que relater ses émotions, le narrateur nous présente les faits et ce qui les entourait. Le dialogue entre personnages est rare dans ce récit, laissant surtout la place à celui entre le narrateur et le lecteur. Néanmoins, Michael avoue, malgré sa quasi-obsession d’Hanna, toutes les fois où il s’est senti éloigné d’elle, où il a cru la trahir. Ces confidences nous plongent dans un récit où le narrateur, sincère, nous montre toutes les facettes de l’histoire telle qu’il l’a vécue et nous met en confiance. Ce style éloigné et l’énonciation des faits à travers des phrases courtes peuvent pourtant empêcher le lecteur de s’émouvoir face à ce qui est raconté. C’est une affaire de goûts et d’habitudes. Cependant, il y a peu de chances que le roman laisse indifférent que ce soit dans le bon, ou dans le mauvais sens. Au final, des thèmes forts qui sont portés par une écriture simple, ou plutôt sobre, afin de créer un ensemble complexe.

Les personnages sont construits de manière particulièrement intéressante. Surtout Hanna. Cette femme, qui n’est pourtant pas le personnage principal, place laissée à Michael, occupe les pensées de ce dernier, mais aussi du lecteur. On aimerait la juger, mais le fait-on? Remarquons qu’adroitement, l’auteur a mis le lecteur dans la position de Michael. Nous avons connu Hanna, sans savoir qui elle était vraiment. Elle est difficile à comprendre, jusqu’à la révélation de son secret qui l’a conduite aux camps, mais la comprend-on après cela? Est-elle un monstre, quelqu’un de perdu, quelqu’un d’indifférent, quelqu’un de blessé?

Le liseur, qui traite des années ultérieures à la Seconde Guerre Mondiale et des blessures morales qu’elle aura provoquées, se démarque subtilement des romans se plaçant dans la période. À travers l’histoire peu commune de ce jeune garçon et de la femme qu’il a aimée, c’est l’histoire d’un peuple et d’une génération que le livre met en scène. Alors qu’il ne sait pas encore qu’il verra Hanna au procès, Michael et ses camarades jugent leurs ainés d’avoir vécu parmi les criminels et d’avoir été les témoins d’atrocités. Cependant, cette rencontre au tribunal, laissera place à d’autres interrogations pour Michael. Est-on moins coupable d’avoir aimé si l’on ne sait pas qui l’on aimait? Peut-on pardonner des actes sans éprouver de la honte d’avoir indirectement participé aux horreurs en ayant laissé entrer dans sa vie une criminelle? Un bonheur antérieur devient-il moins fort quand on apprend qu’il a été recouvert d’un secret? À quel point les coupables sont-ils coupables? Est-ce que leur aveuglement ou encore leur manque de discernement, ou de culture, sont des excuses? Comment vivre après une histoire d’amour qui vous aura à ce point marqué? Est-on coupable si l’on ne peut tourner la page malgré ce que l’on apprend? Car, en effet, toute sa vie (ou du moins ce qu’il nous en relate), Michael appréhendera le monde à travers sa relation avec Hanna. Et finalement, la vie d’Hanna aurait-elle été différente et ses choix auraient-ils été autres si elle n’avait pas caché un secret? Est-ce correct de choisir l’horreur puis le sacrifice plutôt que le déshonneur? Ces questions, qui abolissent un monde manichéen, sont, sans pour autant trouver des réponses, très justes.

Un roman qu’on pourrait presque qualifier de glaçant, un texte qui n’est pas dense sans perdre de sa puissance et de sa tension, qui nous emmène dans des réflexions sur la responsabilité, la culpabilité, le jugement d’autrui, l’indifférence, la part de chacun dans les atrocités commises. Si l’on n’a jamais commis de crimes, sommes-nous innocents?

Le roman a été adapté au cinéma par Stephen Daldry en 2008 avec Kate Winslet et Ralph Fiennes dans les rôles principaux. Le rôle d’Hanna aura permis à Kate Winslet de recevoir un Oscar pour son interprétation.


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