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Griffintown : Un monde d’hommes et de chevaux

Écrit par: JS - janv.• 09•16

Le jour se lève sur Griffintown après le temps de survivance, les mois de neige et de dormance.
Un soleil précaire pointe à l’est. Sur l’horizon se profile un paysage désolé, traversé de collines de rouille où subsiste, par strates et dans un silence condamné, toute une génération d’objets obsolètes: enjoliveurs dépareillés, chaînes de vélo rompues, plaques de tôle gondolées. Au loin se dresse la montagne royale, coiffée d’une croix, insensible aux doléances des arbres étirant vers elle leurs bras décharnés comme des indigents dans l’attente de la manne.

C’est l’histoire de la dernière saison d’une écurie de Montréal, avec ses cochers – cow-boys urbains – et ses chevaux, ses espoirs et ses drames.
Au retour des temps doux, Griffintown revient à la vie avec hommes et chevaux qui reviennent – pas tous cependant, car certains ne sont pas de retour après les mois de dormance hivernaux. Billy s’occupe de préparer l’écurie pour sa réouverture. Le meurtre de Paul Despatie, propriétaire de l’écurie, marque le premier malheur qui frappe ce coin de Far Ouest. Billy se retrouve obligé de reprendre les rênes. The show must go on.
Accueil des bêtes, des cochers, des stagiaires… Dont une « pied-tendre », Marie, jeune cavalière amoureuse des chevaux qui tente de s’intégrer dans le monde des cochers.

La palette de personnages qui se déploie au fil des pages est passionnante. des gens abîmés, esseulés, brisés par la vie qui se retrouvent chacun dans ce lieu dur. La prose de l’auteur a suffisamment d’adresse pour que les personnages prennent vie dans notre esprit. Les lieux sont décrits de telle façon qu’on croirait entendre les chevaux, entendre le bruit des sabots, respirer la poussière, sentir la sueur, la rancune, la colère… Pas de cadeau, pas de délicatesse à Griffintown, tout se paie et on règle les problèmes en interne.

Griffintown est un roman assez surprenant, fascinant même, qui annonce toutefois la couleur dès les premières lignes. Le décor du western est rapidement planté et on se plonge dans la lecture avec curiosité. Le style de la québécoise Marie Hélène Poitras est incisif, net et précis, d’autant que ce monde qu’elle décrit, elle le connaît. On croirait presque la reconnaître dans le personnage de Marie, qui partage son prénom.

Le monde des cochers et celui de la ville s’opposent férocement. La plume de l’auteur nous fait entrer directement dans l’atmosphère étrange, brumeuse qui règne dans le lieu des chevaux, à cheval entre monde moderne et Far Ouest d’une autre époque, comme hors du temps et pourtant si dépendant de lui et des saisons qui valsent avec lui.

Ce roman est fait de chocs et d’oppositions constantes… Et c’est mené avec une main de maître. Un roman à lire absolument… vous ne serez pas déçus du voyage dans un monde résolument différent de ce que tout ce que vous pouvez connaître. Résolument différent et résolument plus crasse.

Marie Hélène Poitras, Griffintown, Éditions Alto, 2013.

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