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Écoute la pluie : La pluie intérieure

Écrit par: JS - sept.• 27•14

J’ai emprunté un itinéraire de hasard, m’enfonçant dans la ville comme dans une terre inconnue, en quête d’un endroit où l’image du vieil homme ne m’atteindrait plus, où je n’entendrais plus les crissements des freins ni les sanglots du conducteur. J’avais oublié l’heure du train, je ne pensais à rien, j’étais dans le vertige d’une chute qui n’en finissait pas et, de temps à autre, je m’adossais à une vitrine pour ne pas céder au vide.

Écoute la pluie

La narratrice s’apprête à prendre le métro puis le train pour rejoindre son amant à l’hôtel des Embruns, au bord de la mer, quand un vieil homme saute sur les rails et se fait percuter par la rame. Ses plans se trouvent alors bouleversés. Elle s’enfuit loin des boyaux de la station, loin de l’espace clos du métro, et commence à marcher au hasard dans Paris, tentant de fuir les images de ce qui vient de se passer sous ses yeux. Elle passe chez elle brièvement avant de ressortir, reprenant sa déambulation sous la pluie, tandis que l’orage gronde. Au petit matin, tandis qu’elle reste dans la pénombre, lovée dans son fauteuil, elle raconte à l’homme qu’elle aime, au loin, les raisons de son absence. Elle lui fait le récit de sa nuit d’errance, emplie de réflexions, de souvenirs… Cette nuit hantée par l’image du vieil homme et de son imperméable beige, cette nuit où la narratrice s’est retrouvée poursuivie par ce dernier sourire qu’il n’a adressé qu’à elle seule et dont elle cherche le sens.

Je pensais à lui, je penserais à lui longtemps, je ne pourrais jamais l’oublier et son anonymat lui donnait encore davantage d’importance, il devenait tous les suicidés du métro, tous ces désespérés qui soudain provoquent retards et débordements, que l’annonce d’un grave accident de voyageur ne parvient pas à excuser, trop fréquent, trop banal.

Le roman est court, mais dense. Il bouleverse de sa profondeur, de sa délicatesse. Michèle Lesbre a une écriture empreinte de poésie, sans pour autant donner une impression de lourdeur. Elle touche par ses mots et l’on se laisse emporter presque sans s’en rendre compte vers une réflexion sur la vie, sur les parcours de vie. On entre dans les pensées profondes d’une femme qui s’adresse à la fois à son amant et à elle-même. Une rencontre fugace qui – sur fond de drame – fait ressortir les fantômes du passé. Dans un désordre complet, la narratrice se souvient, décortique ses sentiments, ses émotions, ses désirs… C’est la peur, le désarroi et l’espoir d’une femme à la croisée des chemins que Michèle Lesbre nous donne à lire d’une plume habile et juste. Et le je est à la fois personnel et universel ; personnel, parce que c’est un peu de l’auteur elle-même dont il s’agit – en 2003, un homme âgé s’est jeté sur les rails du métro devant elle – universel, parce qu’aucun narcissisme ne se perçoit dans cette première personne.

Roman fort, lumineux, qui fige le temps et l’instant.

Michèle Lesbre, Écoute la pluie, Gallimard, folio, 2013.


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Un commentaire

  1. […] est celui au destin tragique dont elle s’inspirera quelques années plus tard pour le livre Écoute la pluie, dont nous vous avons offert un aperçu dans une ancienne […]

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